Chapitre 7 : Au chevet de Ceydric

Pensif, Oran était assis sur le rebord de la fenêtre. Son frère s'était endormi. Ce dernier était gravement malade et leur père avait cru nécessaire de le faire venir sans tarder. Il avait dû partir précipitamment et n’avait pas eu le temps de dire au revoir à la jeune fille de la forêt. Il ne connaissait même pas son nom mais elle était dans toutes ses pensées et ne le quittait jamais. Elle lui avait plu dès qu’il l’avait vu. Elle était sortie de nulle part et lui avait demandé la permission de s’asseoir à ses côtés. Ils avaient admiré sans rien dire le soleil achever sa journée en se parant d'une robe couleur rose-orangée dont la beauté les laissa perplexe. Sur la colline, il est vrai, le point de vue était unique, surtout à l'ombre du majestueux viel arbre solitaire qui y régnait en maître. On l'avait surnommé dans la région " l'Arbre aux fées". Une vieille légende disait que quiconque restait suffisamment longtemps, une fois le soleil couché, sans faire un bruit, aurait peut-être la chance de voir de minuscules fées que seul un oeil averti ne confondrait pas avec les lucioles qui l'illuminaient dès la tombée de la nuit. Même si Oran n'y croyait guère plus, il ne pouvait nier la magie qui se dégageait de ce lieu. Entre les racines du vieil arbre, il se sentait à l'abri. Il y allait souvent lorsqu’il se sentait à bout de force et que la tristesse l'accaparait à tel point que toute sensation de joie semblait l'avoir abandonné. Il aimait à contempler les magnifiques couchers de soleil dont la splendeur arrivait à clamer les tourments de son âme. L'état de son frère l’inquiétait énormément. Les médecins étant incapables de définir le mal dont on il souffrait, il s’affaiblissait de jour en jour sans que personne n'y puissent rien. Son père l'avait tenu informé de la situation et dès qu'il l'avait jugé critique, il avait décidé de le faire venir de toute urgence. Un bruit sortit Oran de ses pensées. Ceydric semblait s'être réveillé. Il le regarda, mais il s'était juste retourné. Une immense tristesse s'empara alors de lui. Maintenant qu'il était là que pouvait-il faire de plus? Rien à part passer ces journées au son chevet et de lui parler de la splendide jeune fille rousse qu’il avait rencontré et qui ne cessait de hanter ces pensées. Oran continuait à regarder son frère tout en se remomérant les bons moments qu'ils avaient passés encore, il n'y avait pas si longtemps. Quiconque voyait ces deux frères seraient surpris. Ils étaient aussi différents que complémentaires. Oran était aussi blond que son frère était brun. Ses yeux azurs s’opposaient à ceux de Ceydric, qui étaient de jais. Il était aussi impulsif que Ceydric était prudent. La sagesse de Ceydric lui venait de sa mère, une beauté celte, issue d’une lignée de sang royal. A vingt-neuf ans, il ne cherchait pas à impressionner les gens. C’était un sculpteur hors-pair qui adorait son métier et réaliser de vraies petites merveilles. Il était connu à travers le monde et participait à de nombreux salons. Mais sa maladie, qui s’était déclaré il y avait moins d’un an, l’avait limité dans ses activités, en l'obligeant à rester alité de nombreuses et longues semaines. Ce mal inconnu qui le rongeait ne cessait de croître. Ses parents, fort inquiets, ne savaient toujours pas ce qui en était la cause. Ils n’allaient pas tarder à apprendre qu’elle était lié à leur passé.

Chapitre 8 : Oran et Hanaëlle


En cette fin de matinée, assise à l'ombre dans le jardin attenant à la boutique, Hanaelle n’arrivait pas à sortir Oran de ses pensées. De nombreux garçons lui faisaient la cour mais son cœur ne battait que pour lui. Elle pensait sans cesse aux moments qu’ils avaient passés ensemble sur la colline au pied du vieux chêne à contempler les couchers de soleil… Que de moments agréables ! A leur première rencontre, ils n’avaient pas échangé un mot. A son unique question, il n’avait daigné répondre que par un mouvement de tête en lui jetant un bref coup d’œil. Comme son regard était profond et triste… s’était dit à cet instant Hanaëlle. Ce premier regard l’avait hantée pendant des semaines. Il lui avait rappelé la profondeur de la nuit. Tous les jours, elle allait l’observer en cachette et ne lui rendait visite qu’une fois par semaine. Son père ne devrait être au courant de ses escapades car il l’aurait jamais autorisée à fréquenter ce jeune homme. Même s’il ne prononçait pas un mot, elle avait l'impression de le comprendre, lui et sa profonde tristesse. Malgré cela, une force émanait de lui, une force qui l'apaisait, elle. Elle sentait bien au fond d'elle-même que ce n’était pas un jeune homme ordinaire, qu’il y avait en lui quelque chose de spécial, quelque chose qui l’attirait irrésitiblement vers lui. Au bout de plusieurs semaines, il lui adressa pour la première fois la parole et elle tomba sous le charme de cette voix grave et posée. Il lui parla de cet endroit, des couchers de soleil, de la magie qui s’en dégageait. Elle l’écoutait avec passion, buvant chacune de ces paroles comme un nectar délicieux. Ils ne parlèrent jamais ni d’eux ni de leur vie. Ils ne connaissaient rien l’un de l’autre mais ce qu’ils partageaient était suffisant. Ils semblaient avoir peur de briser la magie du moment qu’ils partageaient. Quand ils étaient sur la colline, ils étaient comme seuls au monde, le monde n’existait plus. Un soir, ils s’étaient jurés d’être toujours là l’un pour l’autre. C’était ce soir-là qu’ils avaient échangé leur tout premier et leur unique baiser. Un moment qu’Hanaëlle n’oublierait jamais et qu’elle graverait à jamais dans sa mémoire. Elle eut envie de tout lui dire ce soir-là : qui elle était, d’où elle venait même si elle savait qu’elle bravait une interdiction ancestrale. Mais, rien n’avait d’importance parce qu’il lui avait dit qu’il aimait et qu’ils avaient échangé leur premier serment d’amour. Mais, elle n'avait pas pu, elle n'en avait pas eu le courage. Après, se souvint-elle douloureusement il avait disparu quand elle avait eu le plus besoin de lui. Il l’avait abandonnée. Elle ne put retenir ses larmes qu'elle essuya d'un geste brusque. Il n’avait pas tenu ses promesses. Une colère sourde l'envahissait mais la tristesse plus pregnante l'emporta. Elle s’était retrouvée seule, sans famille, sans toit, sans aucune des personnes qu’elle aimait le plus au monde. Sous le vieil arbre qui avait perdu à ses yeux toute sa magie, elle avait pleuré une partie de la nuit. A ce moment-là, elle avait pensé mourir de douleur mais la nuit avait laissé place au jour et elle était encore en vie. Elle décida de partir à sa recherche et c’est ce qui l’avait amené devant la boutique de Mariana, cette boutique qui lui rappelait tellement de souvenir. Mais le temps n’était plus à la réflexion, Hanaelle devait partir travailler Mariana devait l’attendre. Mariana ne l’avait pas attendu en voyant la jeune fille pensive au milieu du jardin , le regard perdu dans le vide, elle s’était dit qu’elle n’avait pas à la déranger et avait préféré la laisser seule avec ses pensées. Hanaelle rentra en trombe dans la boutique en s’excusant de son retard. Mariana lui offrit son plus beau sourire et prononca cette phrase qu'Hanaelle trouva quelque peu énigmatique : « Il faut laisser du temps au temps. »