Chapitre 24 : Premier pas dans le Royaume

Elle se sentit comme aspirée dans un tourbillon lumineux. Son premier réflexe fut de fermer les yeux et de serrer les poings. Une étreinte très légère lui répondit alors. Cette main rassurante… c’était celle d’Anauel. Elle savait qu’elle n’avait pas à avoir peur quand il était à ses côtés. Elle ouvrit les yeux. Il la regardait tendrement. Ses lèvres semblaient murmurer un mot qu’elle ne comprenait pas. Elle puisa dans son regard la force qui lui manquait. Un chaleur bienfaisante semblait se répandre dans chaque parcelle de son corps. Elle arriva enfin à se calmer. C’étaient le mot fée... Obnubilée par sa peur, elle avait oublié ce qu’il lui avait dit juste avant le départ. Elle se concentra. Anauel était plongé dans son regard. Leur regard ne se détachèrent que lorsqu’elle eut l’impression que ses pieds touchèrent à nouveau le sol. Elle regarda aux alentours mais sa vue était comme embrouillée et ses oreilles bourdonnaient. Sa main tenait toujours celle d’Anauel. Leurs doigts étaient maintenant étroitement enlacés. Il ne semblait pas gêné par ce contact, bien au contraire, il lui semblait naturel. Des bruits lui parvenaient maintenant de toutes parts, des éclats de rire, des bribes de conversation, de la musique. Elle n’en crut pas ses yeux. Une ville se dressait maintenant devant elle alors qu’il n’y avait pas un instant elle se trouvait en pleine campagne. Un bruit au-dessus de sa tête l’interpella. Une petite explosion se produisit à nouveau et comme par magie, s’inscrivit sur le panneau de bois juste au dessus de sa tête : Deux nouveaux visiteurs. Bienvenue au Royaume des Fées ! Il n’avait d’yeux que pour elle. Mariana, trop absorbée par son observation, ne le vit pas la contempler, le sourire aux lèvres. Son étonnement et sa curiosité l’amusait follement. Les maisons, les plus étranges qu’elle n’avait jamais vu, se dressaient devant elle : des maisons en forme de champignon, de châtaigne, creusées dans les racines des arbres, et une, oh combien étrange, en forme de chaussure. Au loin, elle pouvait distinguer la silhouette majestueuse d’un palais. Mon Dieu, elle croyait rêver ! Elle avait l’impression d’avoir plongé dans un livre de contes pour enfants. Elle avait peur de se réveiller d’un moment à l’autre et voulait tout voir avant que leur rêve ne s’arrête. Elle était entourée de créatures ailées, d’enfants, d’hommes et de femmes dans les habits les plus étranges et les plus beaux qu’elle ait jamais vus. Perdue dans sa contemplation, elle avait complètement oublié Anauel. Elle se retourna pour le chercher et l’aperçut. Tout de blanc vêtu, une écharpe dans un camaïeu de bleu relevée par des broderies dorées tombait avec grâce sur ses épaules. Ses ailes aux reflets gris-noir se déployaient derrière lui. Elle en était tombée amoureuse dès leur première rencontre. Elle n’avait pas osé se l’avouer. Mais dans les rêves tout est permis! N’était-ce pas une illusion, son rêve ? Elle se jeta dans ses bras! Tout était trop beau pour être vrai. Mais, il était bel et bien là. Elle ne rêvait pas. La tête sur sa poitrine, elle entendait les battements sourds de son cœur. Elle sentit son souffle sur sa nuque. Ce ne pouvait pas être le fruit de son imagination. Elle se pinça et recula
- Aie ! dit-elle en se frottant le bras.
Anauel se mit à rire. Les joues de Mariana rosirent.
- Désolée! Un coup de tête ! J’avais l’impression d’être dans un rêve éveillé !
- Ce n’est pas grave ! Heureusement que tu ne t’es pas jeté sur le premier venu !
Elle s’approcha de lui et lui donna un petite claque sur l’épaule. Hanaelle et Oran se dirigeaient vers eux.
- On vous cherchait partout. Vous en avez mis du temps, dit Hanaelle, légèrement fâchée. Ce qui l’énervait vraiment c’était d’avoir vu Mariana se jeter dans les bras d’Anauel et de reculer comme si elle avait touché des braises incandescentes! Ils sont faits pour être ensemble alors qu’ils se décident à la fin.
- C’est vous qui vous êtes égaré dans la foule. On a pas bougé de là, répliqua Anauel, d’un ton qui n’acceptait pas la réplique
Sentant une querelle proche, Oran décida de changer de sujet. Hanaelle et son tempérament de feu et Anauel qui semblait bizarre ces derniers temps, les nerfs à vif, il valait mieux éviter les conflits.
- Où sont les malles ? questionna-t-il, sur un ton désinvolte.
- Je les ai oubliées. Occupez-vous de Mariana et je reviens. Allez toujours chez moi. Hanaelle, tu connais le chemin, dit-il d’un ton sans réplique.
Et sans attendre la réponse, il avait disparu. Hanaelle sentait son précepteur préoccupé, étrange ces temps-ci , et pas à cause de la mission. Elle en était sûre : il était tombé amoureux. Elle savait bien que l’amour non déclaré, renié faisait des ravages dans le cœur des êtres. Mais, elle le savait aussi obstiné, entêté, tenace et s’il avait préféré la fuite, c’est qu’il n’était pas encore prêt à affronter la situation.
Anauel avait en effet pris la fuite. Quand Hanaelle avait ce regard, il savait que les problèmes n’étaient pas loin. Depuis qu’ils se connaissaient, elle avait tout fait pour qu’il rencontre quelqu’un. Seul son travail et sa petite protégée l’intéressait. L’amour semblait être une activité à laquelle il ne pouvait pas consacrer de temps. La vérité était qu’il avait peur de s’attacher à quelqu’un et de perdre cet être auquel il tenait le plus au monde. Il avait déjà perdu sa mère puis son père et il ne se sentait pas la force de s’investir dans une relation, de tomber amoureux jusqu’à… elle. Elle occupait toutes ses pensées. Quand elle s’est jetée dans ses bras, il avait cru devenir fou. Une lutte sans merci s’était engagée en lui entre son cœur et sa raison. Quand elle avait reculé, la lutte faisait toujours rage. Ses nerfs ne tiendrait pas longtemps à ce rythme-là et le plus dur était à venir. Pourquoi tomber amoureux maintenant ? Pourquoi alors qu’il avait besoin de toute sa raison, de toute sa combativité pour sauver le Royaume. La nuit était tombée dans l’autre monde, il se dirigeait, énervé, vers la carriole. D’un geste rageur, il prit les deux malles. Il aimait cette femme à la folie et il ne pouvait se le permettre! Vaincu, il se laissa tomber sur le sol, les malles toujours dans les mains. Un lien indicible les unissait que même la mort ne pourrait briser, il le sentait au plus profond de son être. Son visage lui vint à l’esprit, la confiance qu’il lisait dans son regard, cette tendresse… Il se releva. Il semblait être un autre homme. Même s’il ne pouvait lui avouer son amour, il ferait tout pour la protéger. Et Manfred était son ennemi. Encore plus maintenant qu’elle avait accepté de jouer les appâts, d’être une diversion. C’était une bataille personnelle qu’il allait maintenant livré, Manfred était devenu son ennemi juré. D’un pas décidé, il se rendit aux portes du Royaume et s’y engouffra. Sa dernière pensée, sur la terre des hommes, fut qu’à ce jour, aucun homme n’avait connu un ennemi plus redoutable que lui. Entre ces deux hommes, une guerre, bien plus grande qu’eux, venait de se déclarer. L’échiquier était en place, le jeu pouvait donc commencer…

Chapitre 22 : La Fée Mariana

Pendant plusieurs jours d’affilés, Mariana et Hanaelle étaient restées cloîtrées dans ce qu’ils avaient nommé « la chambre des mystères ».Tandis qu’ils affinaient le plan de bataille et s’occupaient des derniers préparatifs avant le départ, des éclats de rire leur parvenaient souvent de la chambre. Que se passait-il dans cette chambre ? Ils ne le savaient pas car ils n’avaient pas le droit d’y pénétrer. La chambre leur était interdite. Oran mourrait d’envie d’y entrer. Il écoutait à la porte, essayait de trouver des prétextes pour pouvoir forcer l'entrée de cette chambre mais rien ne marchait. Face à un Oran bougon et entêté, Anauel ne pouvait s’empêcher de rire. Mais, il était toujours autant perturbé par ce qu’il ressentait pour Mariana. Avait-il le droit de faire passer ses sentiments personnels avant le bien-être du Royaume? Non, il ne le pouvait pas. Ne pas la voir lui causait de la peine mais c’était préférable. Il ressentait comme une brûlure dans sa poitrine dès qu’il l’apercevait et un nom résonnait sans cesse dans sa tête : Manfred. Pour éviter d’avoir à y penser, il proposa à Oran d’aller se changer les idées. Ils avaient bien le droit, eux aussi, de prendre un peu de repos. Avant de partir, ils laissèrent un mot à l’intention des occupants de la chambre aux mille secrets. En fermant la porte, Anauel ne put s’empêcher de penser que les femmes prenaient toujours trop de temps pour se préparer. Il savait Hanaelle assez coquette. Elle l’était devenue avec l’âge. Quand il l’avait rencontrée, c’était un vrai garçon manqué. Elle aimait grimper aux arbres, effrayer ses gouvernantes… une vraie petite terreur. La vérité était qu’à ses yeux, aucune femme ne pourrait jamais égaler sa mère. Il l’avait même aperçue une nuit devant le portrait de sa mère. Il avait préféré ne pas la déranger et ne lui en avait jamais parlé. Il lui avait expliqué le rôle d’une Reine, ce qu’elle représentait pour le peuple, ce que sa mère avait représenté pour lui. C’est depuis ce jour qu’elle avait changé. Elle restait la même petite fille espiègle mais elle savait qu’en tant que princesse, elle avait un rôle à tenir. On ne cessait de lui répéter qu’elle était le portrait de sa mère et son plus cher désir était de lui ressembler, de lui faire honneur et de devenir comme elle : une femme majestueuse, resplendissante, pleine de grâce. Le fait de se retrouver seule avec Mariana lui rappelait son enfance, les moments merveilleux qu’elle avait passés auprès de sa mère. Déjà toute petite, elle aimait la regarder se préparer pour les grandes cérémonies. Elle aimait la voir coiffer ses longs cheveux roux dont les boucles tombaient en cascade jusqu’à sa taille. Elle s’approchait tout doucement de sa mère qui la mettait sur ses genoux pour peigner sa petite tête rousse. Et c'était devenu un rituel : tous les soirs, elles se retrouvaient seules,toutes les deux, autour de la coiffeuse. Sa mère lui disait toujours que la couleur de leur chevelure était un cadeau du ciel et que c’était d’eux que venaient leur caractère de cochon, et elles se mettaient à rire, comme en ce moment avec Mariana. Cette dernière vit une lueur de tristesse traverser le regard d’Hanaelle. Elle voulut lui en parler mais voyant la jeune fille se remettre aussitôt au travail, elle se ravisa. A elles deux, elles avaient réussi à se faire deux garde-robes qui n’étaient pas mal du tout et qui feraient pas mal de jalouses ! Mariana avec la vieille machine à coudre de sa mère qu’elle avait sortie du placard où elle dormait depuis plusieurs années, et Hanaelle avec ses doigts de fée avaient fait des merveilles. Sur le lit, était étalé le fruit de leur travail. Elles avaient toutes les deux cinq robes à leur disposition. Elles avaient travaillé dur et s’étaient attelée à la tâche. Après avoir fait le plein de matériel : rubans, toiles légères, soie, organza, tissus satinés ou brodés de fil d’or, elles avaient fait des miracles et avaient transformé les anciennes robes de la mère d’Oran, Dame Maryella, en de vrais petites merveilles. Après plusieurs jours de travail, elles en étaient ravies et fière. Elles les rangèrent soigneusement dans leur malle pour le voyage. Il ne restait plus qu’à s’occuper des coiffures. Une des étapes les plus difficiles du plan pour Hanaelle. Elle, qui aimait tant ses cheveux qui lui rappelaient sa mère, devait les teindre. Mariana le savait et avait décidé de faire de son mieux pour lui rendre ce changement le moins douloureux possible. Elles sortirent de la chambre et trouvèrent l’appartement vide, un mot laissé en évidence sur la table basse du salon. Ils étaient allés faire un tour, eh bien, elles iraient donc se faire chouchouter. Elle envoya Hanaelle se préparer pendant qu’elle prenait rendez-vous. A leur retour, Oran et Anauel trouvèrent l’appartement désert, mais pas de mot. La porte de la chambre était ouverte, tout avait l’air en ordre. Quand elles rentrèrent la table avait été dressée, le repas préparé. Mariana entra la première suivie d’une jeune fille blonde, toute timide. Oran ne la reconnut pas tout de suite. Mais quand, il vit ses yeux émeraude, il comprit que c’était Hanaelle. Anauel qui ne l’avait pas reconnu au premier abord, fut le premier à la complimenter. Elle sourit. Anxieuse, elle attendait maintenant la réaction d’Oran. Ce dernier lui prit les mains, lui affirmant qu’elle était la plus belle femme sur terre quelque soit la couleur de ses cheveux et il l’embrassa. Le dîner se déroula à merveille. Oran exposa avec fierté les dernières modifications : Mariana se ferait passer pour une cousine éloignée d’Anauel, venue du Pays de Galles. Comme tout le monde le savait, dans chaque pays se trouvent un Royaume des Fées. Le départ fut donc fixé pour le lendemain. A la fin du repas, les jeunes femmes disparurent un moment dans leur chambre, pendant qu’Oran et Anauel se chargeait de desservir la table. Oran les aperçut en premier. Mariana était magnifique mais il n’avait d’yeux que pour Hanaelle. C’était la première fois qu’il la voyait avec ses ailes qui semblaient parsemées de paillettes dorées. Elle était ravissante aussi belle que la première fois qu’il l’avait vu. Il avait l’impression de retomber amoureux. Anauel, lui, ne les vit pas tout de suite et continua de desservir. Quand il releva la tête, les mains chargées d’une pile d’assiette et de plats, il vit Mariana et crut que son cœur allait arrêter de battre. Elle était tellement belle qu’il en avait le souffle couper. Des rubans vermeils étroitement enlacés à ses longues mèches noires semblaient danser dans sa chevelure, parsemée de fleurs rouges et blanches. Ses lèvres avaient la couleur des cerises mures. Elle ressemblait à un bouton de rose. Sa robe vermillon laissaient voir ses épaules dénudées et de magnifiques ailes argentées achevaient ce tableau. Anauel croyait que son cœur allait le lâcher. Il n’avait qu’une envie, la prendre dans ses bras et… Il devait reprendre le dessus, se contrôler.
- Vous êtes toutes les deux splendides, surtout vous Mariana, dit-il avec assurance, après avoir redéposer les assiettes, alors qu’il avait l’impression d’être à bout se souffle.
- Je ne peux que confirmer, surenchérit Oran
- Merci, répondirent-elles en chœur.
- Tu es très jolie en blonde, tu sais, lui chuchota Mariana en lui adressant un clin d’œil complice. Elles rirent de bon cœur.
Il avait l’impression que ses membres n’arriveraient plus à le porter bien longtemps. Il fallait encore tenir, encore un peu. Elles allèrent enfin se changer. Anauel se laissa tomber lourdement sur la chaise la plus proche et ferma les yeux. Ca avait été un calvaire de ne pas la toucher. Comment allait-il pouvoir résister à ce désir qui le tenaillait, ne pas révéler ses véritables sentiments. Il le savait, il ne lui était pas, non plus, indifférent. Elle avait rougi quand il l’avait complimentée. Heureusement, il avait su garder le contrôle, bien qu’il l’ait perdu l’après-midi même. Il ne cessait de penser à ce premier baiser, ce baiser qu’il lui avait volé… Il entendit leurs rires. Il se leva et aida Oran à finir de desservir. Ce dernier ne l’avait pas attendu et avait pratiquement terminé. Depuis qu’Anauel avait habité chez eux, il avait appris à le connaître. Il savait que lorsqu’il était préoccupé, il valait mieux le laisser seul, méditer et quelque chose lui disait que Mariana n’était pas indifférente à ce qui le tourmentait.

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