Chapitre 19: Père et fils

Anauel entra comme à son accoutumé et vit Oran dans les bras de son père. Il comprit que d’importants bouleversements étaient survenus dans la vie de cette famille. Il voulut sortir mais Maryella le retint. C’était un membre à part entière de cette famille et c’était lui qui allait être le guide d’Oran. Elle lui prit son plateau et l’invita à aller s’asseoir. Narwel le vit enfin. Remis de ses émotions, il regarda Oran puis Anauel et dit :
- C’est lui qui sera ton guide dans le Royaume des Fées. Tu n’auras pas de meilleurs alliés.
Pour la deuxième fois de sa vie, il devait accomplir une mission qu’il n’avait pas choisi. Narwel l’avait toujours guidé. Sûr de ses choix, il lui avait toujours fait confiance et maintenant il lui confiait son propre fils. Anauel ne put que répondre :
- Je serai fier d’être ton guide. Mais sache que le combat que nous devrons mener sera périlleux et…
Oran ne le laissa pas finir et prit la parole :
- Je ferai tout pour sauver mon frère !
Il semblait avoir vieilli de dix ans. Anauel avait l’impression d’avoir Narwel d’il y a vingt ans… un mélange d’impulsivité et de réflexion, le tout servi par une obstination sans borne. Il se tourna vers Narwel.
- Si ce que tu penses est vrai alors Oran me sera d’un grand secours pour sauver le Royaume.
- Mais…
- Il n’y a pas de mais , Oran. La vie de ton frère et celle du Royaume sont inextricablement mêlées. Si le Royaume disparaît, ton frère mourra… dit-il d'une voix sombre.
Un long silence suivit cette déclaration.
- Il ne mourra pas, j’en fais le serment, même dussé-je mourir à sa place.
Sa voix, pleine d'émotion, brisa ce lourd silence et Maryella ne put retenir ses larmes plus longtemps. Son fils la prit dans ses bras et la rassura.
- Ma petite maman, personne ne mourra. Tes fils reviendront sains et saufs ! déclara-t-il tendrement en la regardant dans les yeux.
- Occupe-toi bien de lui, Anauel, dit-elle dans un sanglot, en lui tendant la main
Cette main si chaude, légèrement tremblante, il la serra avec beaucoup de tendresse. Elle avait su le réconforter dans des moments difficiles. C'était à son tour maintenant de le faire.
- Je te le ramènerai, sain et sauf.
Elle le remercia d'un regard, plein de reconnaissance. Narwel se sentant lui aussi gagner par une profonde émotion et sachant que la lutte ne faisait que commencer, décida de prendre les choses en main. Il dit d'une voix qui se voulait posé et forte mais qui était, en fait, empreinte d'émotion :
- Il est grand temps de mettre les choses au point. Que se passe-t-il chez nous ?
Anauel lui conta la prise de pouvoir de Manfred, l’emprisonnement du Roi, sa quête désespérée de la princesse qu’il retrouva ici, chez une humaine, et il acheva sur le plan de bataille qu'ils avaient mis en place. Tous l’écoutèrent attentivement. A la fin de son récit, Narwel prit la parole :
- Personne ne se doute de ce que prépare, Manfred ?
- Personne, il est rusé et a su bien s’entourer. Je ne sais pas ce qu’il nous prépare ; mais, je sais qu’il a en sa possession le Spectre Royal et le Sceau du Pouvoir, Hanaëlle, elle, détient l’Anneau Sacré.
- Une bonne chose. Mais s’il la trouve avant que vous ayez pu l’arrêter : tout est perdu…
- Nous serons l’arrêter, asséna Oran d'une voix puissante.
- Narwel, penses-tu vraiment que c’est de cet ennemi dont tu parlais dans ta missive, de ce grand danger.
- Je ne sais pas… Je pense qu’un ennemi encore plus redoutable se cache derrière Manfred, mais que pour l’instant, il attend son heure. Il ne se dévoilera qu’au moment voulu, sauf si nous l’obligeons à se démasquer.
- Mais comment ? demanda Oran d'une voix où se lisait une impatience grandissante.
- En empêchant Manfred de prendre le pouvoir, en déjouer ses plans, décréta Narwel d'un ton serein.
- Mais oui, en l’obligeant à se montrer, à se mettre en position de faiblesse… compléta Anauel.
- Mais quand nous l’aurons démasqué, comment le vaincrons-nous ?
- Chaque chose en son temps, mon fils… Il nous faut quelqu’un pour infiltrer le palais, un espion dont personne ne se méfiera et j’ai quelqu’un en tête.
- Anauel, je connais ce regard, dit Maryella, qui s'était remise de ses émotions.Et j’en suis sûre, il y a une femme là dessous, ajouta-t-elle d'un ton malicieux
- On ne peut rien te cacher à toi ! répondit-il dans un rire. J’ai entièrement confiance en elle et elle est inconnue au palais et très belle...
Il s'interrompit. L'imaginer le troublait de plus en plus.Reprenant ses esprits, il poursuivit :
- Je suis sûre qu’elle parviendra à séduire Manfred.
- Es-tu sûre qu’elle le fera ? qu'elle acceptera de le faire? demanda Maryella d'un ton interrogateur. Ce qui l'inquiétait le plus était sa réction à lui. Il semblait fort épris de cette femme et supporterait-il de la pousser dans les bras d'un autre, de l'y voir ?
- Elle a aidé Hanaelle, c’est une femme forte et courageuse. Elle y parviendra et le fera pour Hanaelle, dit-il sur un ton qui n'autorisait aucune contradiction.
Maryella lui ferait part de ses doutes avant son départ, seul à seul. N'était-il pas comme son fils et ne devait-elle pas le protéger comme tel ?
- Demain, poursuivit Anauel, Oran et moi, nous irons voir la Princesse et lui présenterons notre nouveau plan de bataille.
- Je ne sais pas si Hanaelle acceptera de se cacher et d’attendre, décréta Narwel. Tu la connais bien.
- Elle ne restera pas inactive. Elle servira au palais et cherchera activement son père : elle, seule, en connaît tous les recoins.
- Et ses cheveux roux et ses yeux émeraudes, comment les dissimulera-t-elle ?
Oran fut interpellé : cheveux roux, yeux émeraudes, serait-ce sa belle inconnue. Mais non, ça ne peut pas être elle! Ce n'était pas possible! Mais sa vie avait basculé, il n'était plus un simple mortel, mais le fruit d'une union entre un être féerique et... sa mère, était-elle une fée ? Il était assailli de questions. Il faudra qu’il leur demande quelques précisions qu'il savait ne pas être de première importance.
- Hanaelle les teindra en noir et on envisagera le reste plus tard…
Il s'interrompit, surprenant Oran qui semblait perdu dans ses pensées. Son père, qui l'avait aussi remarqué, préféra l'envoyer se reposer. Une longue journée allait l'attendre demain, et pleines d'autres semées d'embuches et d'épreuves. Il regarda son fils tendrement et lui dit dit d'une voix pleine d'affection:
- Oran, il est tant d’aller dormir. Demain est un grand jour : tu vas découvrir le Royaume des fées et tu vas rencontrer sa future Reine...
- Bonsoir, tout le monde.
Il se leva, embrassa sa mère et partit en détalant. Maryella avait perçu son regard songeur à l’évocation de la princesse… Se connaîtrait-il déjà ? Serait-elle cette jeune fille dont il ne cesse de parler à son frère ? Elle les avait entendus un jour en discuter. Le destin les réunirait s’ils sont faits l’un pour l’autre. Ce n’est pas un monde ni une guerre qui pourra les séparer. Elle en était sûre : l’amour est plus fort que tout. Avec toute cette agitation, il n’avait pas mangé. Elle servit Anauel et Narwel qui continuait à tenir leur conseil de guerre et servit deux plats : un pour Ceydric et un pour Oran. Une discussion mère et fils s’imposait. Elle avait besoin de le serrer dans ses bras et lui faire quelques recommandations, c’était encore son bébé malgré ses seize ans, bientôt dix-sept lui répétait-il sans cesse. Elle sourit à cette pensée.